Je reviens aujourd’hui sur un article de Stéphane Goria, un chercheur en sciences de l’information qui aime à intégrer la dimension ludique dans sa vision de la veille et que j’ai toujours beaucoup de plaisir à lire.
Cet article de 2009 est intitulé « Entre la veille stratégique et l’innovation, la démarche de veille créative : ce que la veille créative emprunte aux wargames sur plateau« . Il y développe le concept de veille créative qui « peut se définir à la fois par les moyens qu’elle emprunte aux méthodes de créativité et
d’inventivité et, son domaine d’application qui est celui de l’innovation et de la créativité. » et un peu plus loin, « la veille créative fait avant tout le lien entre la veille concurrentielle et le processus d’innovation en étendant le champ d’investigation de la première à tout ce qui peut être créé ou inventé en relation avec le second« . Intéressant sur le principe bien sûr mais comment cela se passe t-il concrètement?
Pour mettre en oeuvre cette veille créative, le chercheur envisage de la coupler avec les principes des wargames (ou kriegsspiel) c’est à dire de jeux de simulation autour de batailles à venir (pour les militaires) ou à « rejouer » pour les passionnés d’histoire militaire (voir ce blog par exemple). En effet il part de l’idée qu’il s’agit, dans un processus de veille créative, de révéler/explorer un nouveau territoire. Or les wargames sont des jeux de conquête de territoire. Il propose donc d’en utiliser les principes et les moyens pour agir sur les territoires ainsi découverts.
Après un passage très intéressant (pour l’historien que je suis) sur les origines historiques du jeu de guerre (j’y ai appris que le jeu indien du Chaturanga est l’ancètre des échecs), Stéphane Goria en vient à proposer des possibilités de représentations de situations sur des cartes de type wargame. Même si l’idée m’avait séduit je dois avouer que je reste un peu sur ma faim quant aux résultats. De fait en lisant le document jusqu’au bout on comprend qu’il s’agit pour le chercheur d’un article exploratoire. L’idée est là, pas encore totalement concrétisée mais devant l’être dans les mois suivants via le développement d’un environnement de veille créative baptisé Creatine qui l’aidera à affiner son idée et à la mettre en adéquation avec les besoins des veilleurs. Est-ce que cela a été le cas? A vrai dire j’ai trouvé énormément d’autres articles intéressants sur la page du chercheur mais rien d’autre a priori sur Creatine. Quelques articles n’étant pas consultables dans leur intégralité il est possible que je n’ai pas pu en lire plus sur ce projet. S’il nous entend 🙂
Ce que je retiens de cette lecture c’est que la créativité a besoin de supports et que ceux-ci sont innombrables. L’idée de cartographier un territoire symbolique et d’y placer des pions (vos concurrents, clients, partenaires,…) puis de jouer à ce jeu est très séduisante mais la question des modalités du jeu, des règles, me semble très complexe, pour ne pas dire impossible à déployer. Que signifie en effet le déplacement d’un pion sur le terrain de jeu ? Quelle est l’échelle qui s’applique à un territoire symbolique ? S’il semble possible de représenter des positions statiques j’avoue ne pas avoir d’idées sur la manière de faire évoluer la partie, et j’aimerai bien pourtant!
Ce qui en tout cas me semble évident c’est que la création du territoire est une activité forcément commune, elle doit refléter la vision du groupe dans l’environnement dans lequel il évolue tel qu’ils se le représente. Le territoire à explorer et exploiter est donc une construction de l’esprit ou plutôt des esprits, une construction commune qui a vocation à agir sur le réel. Mais n’est-ce pas le propre de toute bonne idée?
Le thème du wargame dans les organisations n’est pas récent (mais à ma connaissance ne se joue pas sur plateau) et si le sujet vous intéresse voici quelques liens issus de ma veille quotidienne.
[su_document url= »http://www.outilsfroids.net/wp-content/uploads/2016/10/Entre-la-veille-stratégique-et-linnovation-la-démarche-de-veille-créative-Goria-2009.pdf »]
Merci beaucoup Christophe pour tes encouragements et tes remarques.
Tes commentaires sur cet article m’ont déjà fait réagir pour ce qui concerne la mise à jour de certains de mes articles publiés depuis 2009. J’ai ajouté quelques liens vers des textes qui n’en avait pas et effectué quelques despôts sur HAL.
Concernant le projet Creatine, faute de financement, celui-ci comme c’est le cas souvent, n’a pas pu être abouti. Toutefois, ce projet de développement d’un système générique de soutien à la veille par la créativité m’a permis d’affiner certaines de mes idées et de confronter à la réalité du terrain certaines de mes hypothèses. Par exemple, cela m’a permis d’affiner mes idées sur l’emploi de la créativité pour la veille et de la veille pour la créativité et faire émerger le concept de signaux de routines. Je continue donc à travailler sur la veille créative (j’y ai consacré un livre qui est actuellement en phase de relecture chez un éditeur scientifique).
Pour répondre à certaines de tes interrogations concernant les problèmes de représentations des affrontements sur des cartes et de placement des pions. J’ai apporté quelques réponses dans un article de 2011 (désormais accessible), publié dans la revue R2IE, intitulé : Éléments de veille créative pour contribuer à l’innovation produit : la mise en œuvre de cartes d’affrontement de produits. Avec ces cartes, la collecte d’information se fait par questionnaires ou directement par le jeu. Ces cartes peuvent être utilisées comme outil de communication ou bien être véritablement transformées en jeu de plateau. Cette semaine sur Nancy, j’ai pu expérimenter ce type de transformation dans un cadre assez particulier : la promotion des avancées des recherches en thérapie photodynamique (ou PDT).
Sinon, depuis 2009, je tiens à préciser que mon vocabulaire a aussi évolué. Je parle désormais de jeux sérieux plutôt que de wargames (même si je reste attaché à cette expression historique), car les jeux sérieux sont actuellement très tendance, y compris en recherche. J’y ajoute toutefois des nuances en employant les termes disengamement (pour ce qui concerne les détournements et modifications des principes d’un ou de plusieurs jeux pour en faire un outil exploitable à des fins sérieuses),) de serious gaming (lorsque le détournement d’un jeu à des fins sérieuses se fait sans trop de modifications), de gamification (quand il y a ajouts d’éléments relevant du domaine ludique dès la phase de conception de systèmes, de médias, d’outils, …), de jeux à but ou gwap (lorsqu’il s’agit de jeux destinés à collecter des données ou participer à la résolution de problèmes sérieux).
Enfin, parmi mes autres recherches sur les jeux en lien avec la veille, j’ai pour le moment obtenu quelques résultats intéressants avec le détournement du jeu de Go, les Dames chinoises (mais il faut aimer les probabilités), le jeu de plateau Risk et les jeux de cartes Rami et Timeline.
Je souhaitais être bref, c’est raté.