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Ce n’est pas un scoop, l’intelligence économique, tout du moins dans sa composante veille stratégique, doit beaucoup au renseignement d’Etat. Elle lui a emprunté son cycle de traitement de l’information ainsi qu’un certain nombre de techniques (élicitation, grilles de cotation, grilles d’analyse,…).
Une chose pourtant ne laisse pas de m’étonner, il s’agit de cette incapacité des entreprises l’ayant adopté à la voir pour ce qu’elle est, à savoir un système d’assurance sur l’avenir, et à vouloir la rentabiliser comme s’il s’agissait d’une machine-outil.
Or la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. La veille possède son propre rythme que l’on ne peut forcer sans en subir les conséquences, à savoir une augmentation des marges d’erreur proportionnelle à l’accroissement du rendement souhaité et donc une prise de risque accrue. L’exact contraire du résultat voulu en somme.
Il faut tout de même se rendre compte que pour ces mêmes opérations de recherche et de traitement de l’information les organes de renseignement étatiques utilisent des services entiers danalystes, tout ça pour au final ne faire que réduire une marge dincertitude qu’ils acceptent. Le renseignement d’Etat est depuis toujours une manière de diminuer les risques qu’entraînent la prise de décision politique. Le décideur doit être le mieux informé possible de la situation afin de prendre la meilleure décision possible tout en n’étant jamais absolument sûr que ce soit la bonne.
Si les faits sont là c’est leur interprétation par l’humain, avec ses capacités et ses faiblesses, qui fait émerger l’information susceptible d’aider à la décision. Quoiqu’on y fasse nous touchons là au domaine du potentiel, c’est à dire de ce qui doit être « dégrossi » pour aboutir à quelquechose d’intelligible. Ce quelque chose est « en puissance » dans les données mais qu’est-il vraiment? Et qui peut le faire émerger, faire parler les indices, comme on dit dans les séries policières? On parle ici de subjectivité, d’interprétation, de sentiments, d’émotions et c’est normal car comme le dit Dave Snowden : « les seuls humains qui analysent toutes les données afin d’effectuer un choix rationnels sont les autistes, mais les économistes pensent que c’est la manière dont nous travaillons tous« [1]. Nous veilleurs, analystes travaillons bien sûr avec des faits mais ceux-ci ne sont que rarement univoques et c’est à nous de les coller les uns aux autres afin de former des phrases, sauf que le message pourra être très différent en fonction de l’ordre que nous leur donnons.
Comment une entreprise peut-elle, dans ces conditions, attendre des résultats dun dispositif de veille souvent minimaliste sans accepter den supporter les coûts « humains » ? Sans même parler des contraintes en terme d’outils.
La logique de lentreprise actuelle amène à toujours plus de rationalisation dans les dépenses et plus de réduction des risques, pourtant avec linformation elle se trouve confrontée à une limite qui est celle de la subjectivité, inquantifiable elle. Ou plutôt si, quantifiable après confrontation avec d’autres subjectivités que lon ajoutera éventuellement les unes aux autres pour dobtenir un point de vue plus fiable (ou moins érroné, c’est au choix). Cest lémergence dune réalité relative et cest sur ce principe que la communauté américaine du renseignement a choisi en septembre dernier de lancer A-Space, un outil de networking social permettant entre autres choses de consolider des informations grâce aux validations fournies par les analystes de différentes agences. Une sorte de Digg pour agents secrets en somme, parce que, comme la montré James Surowiecki, on se trompe moins à plusieurs que tout seul, en tout cas moins souvent
Un second exemple vient d’ailleurs de nous être donnée avec le contrat signé fin janvier par le Center for Strategic and International Studies avec Jive Software, éditeur de Clearspace, une plateforme collaborative permettant le déploiement de blogs, wikis, messageries instantanées et autres solutions « sociales » tirées de la panoplie du web 2.0. Objectif de ce projet : collecter et partager dans un but d’analyse collaborative les informations permettant d’évaluer l’étendue de la menace djihadiste en Asie du sud-est (plus d’infos sur cet article de l’Atelier).
Ces choix devraient sonner comme un signal fort dans les têtes de tous les dirigeants dentreprise, car s’il existe des professionnels dont le métier est de gérer l’information dans ce qu’elle a de plus critique c’est bien eux. Qu’ils n’hésitent pas pour cela à adopter les outils du web 2.0 me semble être :
- une reconnaissance de leur potentiel pour les organisations, y compris celles traitant des informations hautement stratégiques (cela en met d’ailleurs un sérieux coup au prétexte sécuritaire utilisé par beaucoup de services informatiques pour refuser le web 2.0).
- une idée particulièrement intéressante lorsqu’on n’a que peu de moyens pour développer un service de veille mais que l’on dispose d’experts internes parfaitement capables de collaborer en ce sens.
[1] Dave Snowden est l’ancien directeur de l’institut IBM pour le Knowledge Management et l’actuel directeur du « Cynefin Centre for Organizational Complexity« , un laboratoire de recherche très en pointe sur la question