Lors des 20 derniers mois, j’ai formé près de 500 professionnels à l’utilisation des modèles de langage (LLM). Parmi ces participants, on compte des veilleurs et des documentalistes, mais également des ingénieurs issus de diverses spécialités, des commerciaux, des marketeurs,… La majorité de ces formations a eu lieu en présentiel, format favorisant un niveau d’échange riche.
L’objectif de ce retour d’expérience n’est pas de livrer les résultats d’une enquête statistique, mais de proposer une synthèse basée sur l’identification de questionnements ou d’interrogations récurrents relevés au fil des sessions et qui reflètent, je crois, les enjeux et préoccupations les plus fréquents des participants.
Du côté des participants
Tout d’abord, pour certains d’entre eux, la peur de se lancer est réelle. Il y a la crainte du nouvel outil à adopter bien sûr, mais, plus profondément me semble-t-il, il y a la peur de découvrir ce qu’il est en mesure de faire et, potentiellement, de leur retirer. L’envie de ne pas savoir en somme.
Une fois les appréhensions dissipées, les participants réalisent vite qu’un LLM, en l’état, génère des réponses bien trop généralistes pour être directement utiles. Il faut donc apprendre à utiliser les techniques simples (et avancées) de prompting. À partir de là, ils découvrent trois choses :
- Les résultats s’améliorent significativement dès lors que l’on maîtrise un minimum « l’art des prompts ».
- C’est un apprentissage qui demande du temps et de la pratique, un peu comme une nouvelle langue. Cela crée donc de nouvelles compétences (coucou les DRH) mais nombre de participants n’ont pas ce temps ni, parfois, l’envie de se plonger dans cet apprentissage.
- Rédiger des prompts efficaces peut être chronophage, même si une bonne maîtrise du prompting facilite la tâche. Bien sûr, les outils d’IA capables de générer des prompts sont nombreux, ChatGPT le premier, et réduisent progressivement l’effort nécessaire. Il me semble cependant nécessaire que les professionnels de l’information en acquièrent les bases. Cela leur permettra d’en optimiser l’usage, mais surtout de conserver une approche critique des résultats produits.
Loin d’être la baguette magique vendue par les éditeurs de LLM, ces solutions achetées, au propre comme au figuré, par certaines directions, ont donc une courbe d’apprentissage conséquente et ne sont pas (surprise !) la panacée annoncée. Un avertissement que je m’efforce de faire passer au début de chaque session, quitte à susciter les frustrations…
De fait, je retrouve ici la même problématique que lorsque j’apprends à des stagiaires à rechercher sur Google : l’on obtient ce que l’on cherche qu’à condition de bien formuler sa requête. Les mêmes causes produisant les mêmes effets : une mauvaise formulation du prompt conduit immanquablement à des résultats médiocres.
Autre point abordé à chaque session : le vocabulaire. À l’heure où certains polémistes médiatiques ou « linguistes atterrés » prônent la simplification de la langue française, la pratique des LLM démontre l’inverse. C’est précisément sa richesse et sa précision qui permettent de pousser ChatGPT et consorts dans leurs retranchements. Pour déverrouiller les « portes secrètes » des LLM, il faut disposer des bons mots-clés, véritables « Sésames ouvre-toi » qui n’ont jamais autant mérité leur nom. La maîtrise de la langue française, la connaissance du langage expert d’un domaine, conditionnent la qualité des réponses obtenues. Là encore, rien de bien nouveau depuis Google, sinon qu’avec les LLM, c’est encore plus crucial (et oui, j’ai écrit « crucial » sans assistance ;-)).
Autre frein souvent rencontré : les participants débutants peinent à comprendre qu’il ne suffit pas de lancer un unique prompt pour obtenir une bonne réponse, qu’il faut dialoguer avec le système, itérer, affiner progressivement les demandes et ajuster les prompts pour arriver au résultat souhaité.
Enfin, je constate, que la profusion d’outils et services disponibles est souvent perçue comme un obstacle. Surtout si, en plus d’apprendre à les utiliser, il faut choisir lequel est le plus adapté à un usage spécifique. Par exemple, ChatGPT excelle dans certaines tâches, mais se montre moins bon dans d’autres où il faut lui préférer Perplexity. NotebookLM répond mieux à tel type de besoins, et ainsi de suite.
Du côté du formateur
Alors quels sont les principaux messages que j’essaye de faire passer ? Avant tout : « Ce n’est que le début !».
- Les IA génératives se sont déjà installées dans notre quotidien et sont là pour rester. Même si une éventuelle bulle spéculative ou médiatique venait à éclater, les usages, perdureront.
- Utiliser les LLM nécessite d’exercer un esprit critique constant sur leurs productions (bis).
- On attend trop des LLM ! Ils ont été vendus (je me répète), comme des baguettes magiques, mais l’intelligence artificielle n’est pas intelligente. Ils ne réfléchiront pas à votre place. Tout du moins pas encore…
- On n’attend pas assez des LLM là où ils sont vraiment efficaces (reformatage, réécriture, reformulation, idéation, traduction, créativité, …);
- Utiliser les LLM nécessite d’exercer un esprit critique constant sur leurs productions (ter).
- Ne déposez pas de documents internes dans un LLM qui n’est pas hébergé sur les serveurs de votre organisation (mais cette bataille est déjà quasiment perdue tant les avantages perçus l’emportent sur les risques…).
- L’intégration des intelligences artificielles dans notre quotidien ne relève plus de la science-fiction, mais d’une réalité imminente. Bientôt, nous disposerons de plusieurs agents intelligents, à l’image de la multiplicité de nos comptes email ou de nos profils sur les réseaux sociaux. Il y aura des agents à usage professionnel, d’autres pour des besoins personnels, anonymes ou non, fonctionnant sur des solutions commerciales ou sur des plateformes open source. Ces agents seront adaptables : nous pourrons les fusionner pour des projets spécifiques, les entraîner sur des thématiques précises, les faire collaborer avec d’autres, les réinitialiser ou les supprimer (tout du moins essayer)… Ce sera l’ère de l’IA agentique (cf. cette excellente synthèse de Frédéric CAVAZZA).
- Cette évolution technologique doit nous pousser à réfléchir à la manière dont nous utilisons ces outils. Chaque interaction avec un LLM contribue à nourrir un profil unique, tout comme nos activités sur les réseaux sociaux alimentent depuis toujours des profils revendus à des annonceurs. Mais avec les LLM, ce phénomène prend une autre dimension : plus nous intégrons ces systèmes dans notre quotidien, plus ils s’humanisent et rendent l’interaction désirable, plus ils deviennent des reflets numériques de nous-mêmes, incomplets certes, mais suffisamment riches d’informations pour devenir des cibles. Pour les annonceurs bien sûr, mais surtout pour des acteurs malveillants. Que se passe-t-il si votre quasi-jumeau numérique, à qui vous avec confié vos besoins informationnels, vos mots de passe et vos conversations professionnelles et privées est piraté et revendu sur les darknets ?
- Utiliser les LLM nécessite d’exercer un esprit critique constant sur leurs productions. Oui, je sais, je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, et non ce n’est pas une erreur mais très exactement ce que je fais en formation.
Ce qu’il est difficile de transmettre durant ces sessions ? En réalité, rien de bien nouveau non plus. Depuis 20 ans mon leitmotiv, que ce soit lors de formations sur la veille, la recherche d’informations ou l’utilisation des réseaux sociaux, reste le même : « il faut jouer avec les outils ». Non pas dans un simple but ludique (même s’il y a largement matière à) mais parce que c’est la seule manière d’en explorer le potentiel. Expérimenter, tester, détourner leur usage, permet de mieux comprendre leurs limites, leurs forces, et donc, comment les exploiter au mieux dans nos pratiques professionnelles. Quoiqu’il en soit… ce n’est que le début.
Et en bonus :
Le décalogue du formateur en usages LLM
- Tu démystifieras les LLM dès le départ.
- Tu rassureras face aux appréhensions.
- Tu insisteras sur l’importance du prompt engineering.
- Tu encourageras l’expérimentation.
- Tu souligneras l’importance du vocabulaire.
- Tu enseigneras l’itération.
- Tu alerteras sur les risques de sécurité.
- Tu aideras à naviguer dans la profusion d’outils.
- Tu insisteras sur la nécessité d’exercer un esprit critique constant.
- Tu sensibiliseras à l’arrivée des IA agentiques.