Depuis quelques jours, tout le web est en effervescence. L’intelligence artificielle, dans sa composante d’apprentissage machine, ou deep learning, donne enfin à voir « ce qu’elle a dans le ventre » en permettant à chacun de lui poser des questions ou de l’aider à créer des contenus. Ceux qui me suivent n’en seront pas surpris, j’écrivais il y a un an dans un état des lieux des technologies du faux : » ce qu’il faut absolument saisir c’est que dans un futur proche GPT-3 et ses concurrents à venir vont mettre cette parole créatrice à la disposition de tous.(…) La commoditisation est en marche et le territoire à explorer infini…« . Et bien nous y sommes. Grâce à ChatGPT, une version de GPT-3 disposant d’une interface simplifiée, chacun a maintenant à sa disposition un modèle de langage de pointe. Concrètement, il s’agit d’un service en ligne de type robot conversationnel, mais l’on s’aperçoit rapidement qu’il est capable de traiter des questions bien plus larges qu’un bot habituel. Ainsi vous pouvez lui poser des questions simples en langage naturel comme :
- Combien y a t-il d’habitants sur Terre?
- Quelle est la taille de la tour Eiffel?
- Combien font 3564/5,43?
On pourrait d’ailleurs le qualifier de moteur de réponses et se souvenir que Google se positionne ainsi depuis plusieurs années déjà. Ce qui explique probablement l’inquiétude de ce dernier concernant l’émergence de chatGPT. Mais qui peut penser que Google, qui utilise et entraîne depuis des années des dispositifs similaires, ne proposera pas rapidement une réponse de taille à OpenAI?
De fait, le vrai avantage actuel de ChatGPT sur Google n’est pas là mais dans la capacité du système à générer du contenu textuel (ou du code informatique!) sur tous types de sujets. Ainsi vous pouvez lui demander :
- Ecris moi un essai sur la veille stratégique en 2000 mots.
- Ecris une conclusion optimiste au document que voici (on ajoute le texte en question par un copier-coller).
- Rédige un haïku évoquant la Lune et le Soleil.
Mais aussi :
- Résume cet article en 5 points.
- Réécris ce paragraphe dans un style plus soutenu.
- Adapte ce texte à un public de marketeurs.
Autant dire que ses possibilités sont immenses et vont venir bouleverser tous les domaines d’activité dans lesquels le texte et le processus d’écriture sont centraux. Soit à peu près tout ce que l’on fait dans notre vie professionnelle : documents de travail ou de réflexion, travaux d’écriture, publications scientifiques ou sur les réseaux sociaux. Ou encore ce qui accompagne ce que l’on fait : documents de gestion, description de procédures, autres types de documents normatifs.
L’on pense inévitablement aux usages malhonnêtes pouvant être fait des modèles de langage et que nous avons largement abordé dans un article de recherche récent. Mais cela ne doit surtout pas nous empêcher de réfléchir aux usages potentiels de chatGPT dans nos activités du quotidien. Nous nous intéresserons donc ici à ce que cette technologie peut apporter aux veilleurs et analystes en ayant bien conscience qu’elle n’en est qu’à ses débuts. Afin de rendre notre approche plus concrète, nous suivrons le cycle traditionnel de la veille en quatre étapes :
- Expression des besoins
- Collecte (recherche et surveillance)
- Exploitation
- Diffusion
Phase d’expression des besoins
L’objectif de cette phase est de comprendre et de délimiter les besoins informationnels des commanditaires de la veille (analystes, décideurs, clients,…). Voici quelques idées d’utilisation possibles des modèles de langage dans cette phase :
- Comprendre les besoins en information d’une organisation : il est possible de fournir à GPT-3 (un modèle de langage plus adapté à ce type de tâche que son « petit frère » chatGPT), un corpus textuel constitué de rapports et d’actualités relatifs à cette organisation et à son secteur d’activité. GPT-3 pourra alors utiliser l’apprentissage automatique pour pointer les thématiques les plus importantes et aider à déterminer les besoins en information propres à celle-ci. A noter que l’on reste ici à un niveau généraliste où l’outil sera utile dans la phase d’initiation d’une veille. De fait, il s’agit ici d’un usage qui est déjà possible mais en version payante de GPT-3, mais la possibilité de faire résumer un article par chatGPT donne déjà un aperçu de ces capacités. Voici par exemple la synthèse de cet article des Echos que j’ai demandé à chatGPT de me résumer en 5 points :
- Le nucléaire est en train de faire un retour en Europe, avec plusieurs pays qui annoncent de nouveaux projets de construction de centrales nucléaires.
- La guerre en Ukraine a eu un impact sur la politique énergétique de certains pays, qui cherchent à réduire leur dépendance à l’égard de combustibles fossiles étrangers.
- La France, la Pologne, et le Royaume-Uni ont déjà opté pour une relance du nucléaire, tandis que d’autres pays, comme l’Allemagne et la Belgique, ont repoussé la fermeture de leurs centrales nucléaires.
- L’abandon progressif du nucléaire en Europe a été remis en question en raison de l’augmentation de la consommation de charbon dans le monde et des incertitudes liées à l’approvisionnement en gaz russe.
- Les partisans du nucléaire estiment que cette source d’énergie est sûre, propre, et fiable, mais les opposants mettent en avant les coûts élevés de construction et de démantèlement des centrales nucléaires, ainsi que les risques de fuites radioactives.
- Comprendre le contexte dans lequel évolue une organisation :
- On peut demander à chatGPT d’utiliser des matrices classiques comme PESTEL ou SWOT afin de se faire un idée du contexte spécifique d’un secteur ou d’une thématique. Voici par exemple l’analyse PESTEL en réponse à la question « Propose moi une analyse SWOT des enjeux de l’énergie nucléaire en France » :
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Points forts :
Production d’électricité constante et fiable : L’énergie nucléaire est une source d’électricité qui peut être produite de manière constante et fiable, sans être affectée par les variations météorologiques ou les fluctuations de demande.
Capacité de production élevée : Les centrales nucléaires peuvent produire de grandes quantités d’électricité, ce qui en fait une source importante de production d’énergie en France.
Faibles émissions de gaz à effet de serre : L’énergie nucléaire produit peu de gaz à effet de serre, ce qui en fait une option intéressante pour réduire les émissions de carbone et lutter contre le changement climatique.
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Points faibles :
Coût élevé de construction et de démantèlement : Les centrales nucléaires sont coûteuses à construire et à démanteler, ce qui peut être un frein à leur développement.
Risques de sécurité : L’énergie nucléaire est associée à des risques de sécurité, notamment en cas d’accident nucléaire.
Gestion des déchets radioactifs : La gestion des déchets radioactifs est un défi important pour l’énergie nucléaire, qui nécessite des installations de stockage spécialisées et sécurisées.
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Opportunités :
Croissance de la demande d’énergie : La demande d’énergie est en croissance constante, ce qui offre de nouvelles opportunités pour l’énergie nucléaire.
Rôle important dans la transition énergétique : L’énergie nucléaire pourrait jouer un rôle important dans la transition vers des sources d’énergie plus propres et durables.
Développement de technologies innovantes : Les avancées technologiques pourraient permettre de développer de nouvelles formes d’énergie nucléaire, plus sûres et plus efficaces.
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Menaces :
Concurrence des autres sources d’énergie : L’énergie nucléaire fait face à la concurrence de sources d’énergie renouvelables, telles que l’énergie solaire et éolienne, qui sont de plus en plus populaires.
Opposition politique et sociale : L’énergie nucléaire est souvent controversée, et peut être confrontée à de l’opposition politique et sociale.
Risques de dépendance énergétique : L’énergie nucléaire peut créer une dépendance vis-à-vis de certaines sources de combustibles, comme l’uranium, ce qui peut être un risque pour la sécurité d’approvisionnement.
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- On peut demander à chatGPT d’utiliser des matrices classiques comme PESTEL ou SWOT afin de se faire un idée du contexte spécifique d’un secteur ou d’une thématique. Voici par exemple l’analyse PESTEL en réponse à la question « Propose moi une analyse SWOT des enjeux de l’énergie nucléaire en France » :
- Dans la même optique, on peut aussi poser à chatGPT des questions ponctuelles. On pense notamment ici à celles qui émergent lorsqu’on élabore un plan de veille. Concrètement, il s’agit de questions auxquelles on doit répondre pour comprendre les « tenants et aboutissants » d’un thème de veille, mais qui n’impliquent pas la mise en place d’une surveillance. Par exemple, on peut répondre à la question : « Quels sont les principaux acteurs privés du nucléaire dans le monde? » par une liste d’entreprises. En revanche, la question : « Comment les acteurs du nucléaire vont-ils se repositionner dans les mois à venir? » entraîne nécessairement la mise en place d’une surveillance de ceux-ci. ChatGPT peut s’avérer très utile pour répondre au premier type de questions :
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Il y a plusieurs entreprises privées qui sont actives dans l’industrie nucléaire à travers le monde. Voici quelques exemples de grands acteurs privés dans le domaine :
Areva : Cette entreprise française est l’un des plus grands fournisseurs de services nucléaires au monde. Elle est spécialisée dans les technologies de l’énergie nucléaire, y compris la conception, la construction et l’exploitation de centrales nucléaires.
Westinghouse Electric Company : Cette société américaine est l’un des plus grands fournisseurs de technologies nucléaires au monde. Elle propose des solutions pour la construction, l’entretien et la mise à niveau des centrales nucléaires.
Toshiba : Cette entreprise japonaise est un acteur important dans le domaine de l’énergie nucléaire. Elle est spécialisée dans la conception et la construction de réacteurs nucléaires, ainsi que dans la fourniture de services de maintenance et de démantèlement.
Rosatom : Cette entreprise russe est l’un des plus grands fournisseurs de services nucléaires au monde. Elle est spécialisée dans la conception et la construction de centrales nucléaires, ainsi que dans la fourniture de services de maintenance et de démantèlement.
China National Nuclear Corporation (CNNC) : Cette entreprise chinoise est un acteur important dans le domaine de l’énergie nucléaire. Elle est spécialisée dans la conception, la construction et l’exploitation de centrales nucléaires, ainsi que dans la recherche et le développement de technologies nucléaires.
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Bien que les résultats ne soient pas (encore) de haut niveau, ils peuvent être utiles pour un veilleur qui souhaiterait démarrer sur un sujet qu’il ne connaît pas bien.
Le prochain article évoquera la phase de collecte du cycle de la veille.
Bonjour Christophe,
On peut s’interroger sur la le rôle et la définition de l’intelligence : ne sommes-nous que des collecteurs/analystes de données ? Quels seront les valeurs qui dirigeront nos choix et sur quelles bases ?
Par exemple, l’outil décrit dans cet article semble très pratique en terme de gain de temps et de compilation de données, mais peut-être qu’une autre personne aurait retenu d’autres « points » pour faire un résumé de texte ? ou d’autres critères.
Quoi qu’il en soit, merci pour cet article intéressant qui nous décrit les changements en cours.
Bonjour Yves,
Oui, l’outil doit s’utiliser en mode itératif et peut nous aider à choisir les contenus les plus adaptés à nos besoins en fonction de nos attentes. On peut aussi le diriger en lui indiquant des axes sur lesquels il doit insister. L’ère du prompt, c’est à dire de poser efficacement des questions, arrive.
Bonjour Christophe,
Merci pour ce post, très utile.
La fonctionnalité « résumer un article » de ChatGPT est potentiellement très utile. Notamment, ChatGPT peut accéder au texte disponible sur une URL, il suffit de la lui indiquer.
Cependant cette fonctionnalité « résumer » a des limites :
– le texte doit être accessible en ligne, public (pas de mot de passe) et gratuitement (pas de paywall ou abonnement)
– ChatGPT ne peut pas résumer un article très long (10 paragraphes maximum environ) — même si GPT-3 lui le peut https://www.width.ai/post/gpt3-summarizer
Autrement dit : pour tout ce qui est derrière un accès par mot de passe ou paywall, il faut copier-coller le texte et espérer qu’il ne dépasse pas 10 paragraphes, ce qui est rare. Par ailleurs, je ne suis pas certain que les éditeurs apprécient …
Sur l’analyse SWOT ou la fourniture de plans détaillés, c’est très pratique, mais c’est très classique (mainstream, dirions-nous) et parfois redondant. J’ai testé une analyse SWOT sur un sujet que je connais bien (les legaltech en France) ; ça ne m’a rien appris, mais c’est pratique car ça fait une bonne synthèse opérationnelle.
Bonjour Emmanuel,
Désolé pour ma réponse tardive, j’écrivais la suite de cette série 🙂
Je t’avoue que ce qui m’intéresse, comme toujours avec les nouveaux « outils », ce ne sont pas leurs usages actuels, forcément limités, imprécis, trop spécifiques,… Après tout ce sont quasiment des prototypes. Non, ce qui m’intéresse toujours c’est d’explorer/imaginer la manière dont ils vont évoluer et avec eux les métiers qu’ils impactent. De fait, lorsqu’en 2004 j’évoquais le potentiel des blogs pour la veille devant un public de documentalistes et bibliothécaires réfractaires ou dès 2006 l’évolution probable de l’e-réputation, ou en 2010 l’intérêt qu’il y aurait à utiliser les réseaux sociaux pour faire de la veille, ça générait surtout des regards gênés 🙂