Dans le précédent article de cette série, j’évoquais le manque de représentativité des grands médias américains ainsi que les répercussions engendrées par ce gap pour des citoyens se sentant laissés pour compte. Mais qu’en est-il de la situation en France ? Connaît-on les mêmes travers ou observe-t-on des spécificités qui l’en distinguent ?
Comme on le constate dans la dernière version du baromètre Verian-La Croix, la confiance des Français dans les médias continue de s’émousser. 62% d’entre eux pensent qu’il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité, une hausse de 8 points par rapport à janvier 2023. Pourtant, cette méfiance n’entame pas leur appétence pour l’information, puisque 76 % d’entre eux déclarent suivre l’actualité avec un grand intérêt.
Les raisons de cette défiance sont sans doute multiples : sentiment que les médias parlent toujours des mêmes sujets, angoisse et impuissance face aux informations, fatigue informationnelle, etc. Mais qu’en est-il de la question de la partialité ? C’est le point que nous allons tenter de développer ici.
Il n’y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d’expression, il n’en existe qu’un usage insuffisant. Raoul Vaneigem.
Des biais politiques peu étudiés
D’abord, un constat : les enquêtes sur le sujet du positionnement idéologiques des journalistes et des médias français sont beaucoup moins nombreuses que celles existant aux États-Unis. Ainsi, la seule consultation que nous ayons repérée à ce sujet concerne les journalistes français et date de 2012. Menée par Harris Interactive, elle ne portait que sur 105 d’entre eux et indiquait que 53% votaient à gauche ou à l’extrême-gauche et 17% à droite et à l’extrême-droite.

Sauf erreur de notre part, il s’agit du seul sondage « récent » de ce type existant. Il faudra donc s’appuyer sur des éléments indirects pour se forger une opinion.
Enquêtes sur le temps de parole
Le temps de parole accordé aux différentes forces politiques dans les médias peut constituer un indicateur intéressant de leur visibilité et de leur influence dans le débat public. Le statisticien Marc Vanguard, a analysé les données de l’ARCOM sur le pluralisme dans les médias durant les législatives 2022. Il y constate une surreprésentation marquée de la gauche radicale sur France Inter et BFM TV, comparée à leur poids électoral. À l’inverse, et sans grande surprise, l’extrême-droite et la droite dominent sur CNews. À l’image d’un miroir, France Inter et CNews offrent donc des visions idéologiques quasiment inversées.

Pour être complet, notons aussi que ces données montrent une marginalisation des écologistes et de la gauche modérée sur ces trois médias lors de ces législatives 2022.
À partir d’un set de données proposées par France Télévision en 2023, le même analyste relevait également une sous-représentation de la droite radicale sur les antennes du groupe, par rapport à son poids électoral et comparativement aux autres forces politiques en présence.

Il faudrait bien entendu mener la même étude sur plusieurs trimestres afin d’en obtenir une vision longitudinale.
Positionnement politique des électeurs en fonction des médias
Une autre manière d’adresser indirectement la question consiste à examiner les habitudes de consommation médiatique des Français. Cette analyse révèle (surprise !) une corrélation entre les préférences politiques des électeurs et les supports d’information qu’ils privilégient (et inversement 😏).
Ainsi, une enquête IFOP menée lors des présidentielles de 2022, indiquait que, du côté de la presse écrite, Le Monde et Libération, se distinguaient par une forte proportion d’électeurs ayant voté pour Jean-Luc Mélenchon, avec respectivement 35 % et 43 %. Ce soutien était encore plus prononcé pour L’Humanité où 54 % des lecteurs ayant voté pour lui et 18 % pour Fabien Roussel. À l’opposé, Le Figaro attirait un électorat orienté à droite, notamment avec 12 % et 10 % des lecteurs ayant voté pour Pécresse, ainsi qu’un soutien notable à Éric Zemmour (11 %). De même, Valeurs Actuelles s’affirmait comme un bastion pour l’extrême-droite,avec 24 % de ses lecteurs ayant voté Zemmour. La presse centriste, représentée par Les Échos, enregistrait un soutien important pour Emmanuel Macron (34 %).
Une autre étude IFOP, réalisée à l’occasion des élections européennes 2024, révélait une concentration plus forte des électeurs de droite et d’extrême-droite parmi les auditeurs de CNews, RMC, RTL, mais aussi, et c’est plus surprenant, de NRJ.

À l’inverse, les auditeurs de France Inter affichaient une forte orientation à gauche, ayant voté majoritairement pour le PP-PS (38%), LFI (17%) et les Écologistes (13%) lors des élections.
Diversité d’opinion et indépendance journalistique : le regard critique des Français
Le paysage médiatique français, caractérisé par de nombreuses fragmentations, se distingue notamment par une opposition marquée entre les médias conservateurs de Vincent Bolloré et ceux, progressistes, de Matthieu Pigasse. Récemment, ce dernier n’hésitait pas à s’afficher en couverture de Libération, l’un des titres qu’il possède, pour évoquer sa croisade contre le camp opposé, sans que sa rédaction ne semble y voir d’ingérence. Cette situation soulève d’ailleurs une question intéressante : quelles auraient été les réactions si Vincent Bolloré avait fait de même au JDD ?

Deux questions se posent alors :
- Comment les Français perçoivent-ils le traitement de la diversité des opinions dans les médias ?
- Que pensent-ils de l’indépendance des journalistes français ?
L’enquête Verian – La Croix déjà évoquée nous donne des réponses à la première de ces questions. Ainsi, les médias publics sont perçus comme reflétant légèrement mieux la diversité des opinions que les médias privés (52% contre 49%).

Cependant, les clivages idéologiques influencent fortement ces perceptions. Les sympathisants de droite valorisant davantage les médias privés et inversement.
Par ailleurs, seuls 38% des personnes interrogées considèrent que le fait que des groupes de presse ou de médias soient détenus par de grands groupes privés est une bonne chose pour l’indépendance des rédactions et des journalistes, contre 57% pour les médias publics comme France Télévisions ou Radio France.
Enfin, dans le baromètre 2023, 59% des personnes sondées considéraient que les journalistes n’étaient pas indépendants aux pressions des partis politiques et du pouvoir, et 56% qu’ils ne résistaient pas aux pressions de l’argent (cette question n’apparaît pas dans la dernière version du baromètre).

La partialité dans les médias français est naturelle et ne pose pas de problème à leurs lecteurs. Mais si certains médias offrent une diversité idéologique relative, des déséquilibres notables, tels que la surreprésentation ou la marginalisation de certaines voix, contribuent toutefois à alimenter un sentiment de défiance croissant chez une majorité de Français.