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Dans le billet qui restera sans doute le plus polémique et donc le plus utile de ce premier semestre pour les professionnels de la veille et de l’intelligence économique, Frédéric Martinet, le « veilleur intraitable » 😉 évoque plusieurs sujets sur lesquels je suis tout à fait d’accord avec lui (voir ici et là dans les commentaires), et un avec lequel je ne le suis pas, et ce ne sera une surprise ni pour lui, ni pour vous. Il s’agit bien sûr de ce que l’on peut faire en terme de veille avec des outils gratuits ou peu coûteux. C’est un sujet que je souhaitais aborder depuis longtemps et je rebondis donc sur son billet pour cela.
De fait, depuis sept ans où je forme en moyenne entre 80 à 120 veilleurs par an (non-inclus les étudiants) tous secteurs d’activités confondus et autant dans le public que dans le privé, je pense pouvoir dire au doigt mouillé que 80% n’ont pas et n’auront pas à moyen terme, de budget pour investir dans des outils (logiciels, services en ligne) dépassant les 200 euros. On peut certes le regretter, mais vient un moment où il faut simplement faire de la realpolitik d’entreprise, ce qui veut dire faire au mieux avec ce que l’on a.
Ayant moi-même débuté ma carrière de responsable de veille sans budget, j’ai dû très vite apprendre à faire avec les moyens du bord. Fût-un temps où C4U, Wordmapper (dans la version gratuite distribuée avec Veille Mag) et une base de données SQL Server mise en place par un développeur avec qui je m’entendais bien étaient mes meilleurs amis. C’est à la même période que j’ai commencé à écumer le web à la recherche d’outils et services gratuits ou peu chers qui me permettraient d’être plus efficace à tous les niveaux du cycle de la veille, et c’est un peu plus tard que j’ai créé Outils Froids afin de partager mes découvertes. Pas de surprises donc à ce que je considère que la veille n’est clairement pas une question de budget, et je croise tous les jours des veilleurs qui me le prouvent ; mais bien sûr j’en croise aussi qui n’y arrivent pas. Où est le problème?
Généralement il est simple et se résume à une question de perception que l’on peut synthétiser en ces trois assertions :
Généralement il est simple et se résume à une question de perception que l’on peut synthétiser en ces trois assertions :
- si c’est gratuit, ce n’est pas important
- si c’est gratuit ce n’est pas reconnu par ma hiérarchie (et donc …)
- si c’est gratuit je ne suis pas forcé de l’utiliser, à la différence d’un outil que l’on aurait payé cher et dont je serais finalement le servant, contraint et forcé…
… et de papilloner de logiciels en services, sans réussir à se fixer sur aucun et à développer ainsi une routine de travail à long terme.
Et pourtant c’est bien là que se trouve la différence : on ne peut faire une veille à partir d’outils gratuits qu’en choisissant les meilleurs et en s’y tenant. Parmi les qualités du veilleur, et plus spécifiquement celles du veilleur désargenté, j’ajouterai donc la ténacité.
Je n’hésite pas à dire non plus qu’on peut faire une veille de mauvaise qualité avec des outils coûteux (ce que Frédéric dit d’ailleurs et déplore dans sa réponse à Terry Zimmer que je vous invite à lire). L’un des biais potentiels des solutions payantes est de laisser croire que leur coût assure inévitablement la qualité de leurs résultats, mais surtout, que rien d’important ne peut se passer en dehors de leur champ d’action. Tout est sous contrôle en somme, et l’analogie des clés perdues et du réverbère a encore de beaux jours devant elle….
J’ai tendance à penser que ce sentiment de sécurité tiré de l’impression que l’outil est exhaustif est une faiblesse dans un métier où l’on doit nécessairement rester en alerte, à scruter en permanence ce qui pour nous fera signal faible. Tout comme j’ai tendance à penser que l’état d’insécurité dans lequel nous maintiennent les outils gratuits est un atout en ce sens qu’il nous pousse à ne pas nous arrêter aux résultats qu’ils nous proposent.
A l’heure où l’on apprend que Google n’indexe probablement pas plus de 0.004 % du web et alors que la minuscule portion de ce chiffre que représentent les résultats de nos requêtes est déjà, bien souvent, plus que nous ne pouvons traiter, il est temps de réaffirmer que le travail du veilleur ne repose pas tant sur les solutions techniques qu’il aura mises en oeuvre que sur la qualité des questions qu’il se pose (et pas seulement lui!) et des analyses qu’il tire de l’information qu’il collecte.
La veille stratégique n’a pas pour objectif de dresser des panoramas et des états de l’art mais d’aider à la prise de décision à plus ou moins court terme. En ce sens elle est nécessairement incomplétude et prise de risques. Faire croire en sa rationalisation grâce aux outils n’est que poudre aux yeux et sert avant tout à rassurer les Directions (surtout si ces outils coûtent cher).
A une époque je me demandais souvent ce que donnerait un challenge opposant outils de veille payants et gratuits sur une même thématique. En fait la réponse est simple : ce concours ne pourrait tout simplement pas avoir lieu car il faudrait pour cela que chaque veilleur dispose d’un clone dans l’équipe adverse. Les outils ne valent en effet que par la personnalité, les compétences, les connaissances et l’intuition des individus qui s’en servent.
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Bonjour Christophe,
TB la nouvelle charte graphique. Pas coûté trop cher ? (ça me retient, perso).
Je n’a pas le même ressenti que toi sur le sujet supra. Plutôt l’inverse, à vrai dire : je trouve les outils gratuits surévalués.
Aussi, je voudrais avancer cinq arguments en faveur des outils payants :
J’utilise massivement — bien obligé, vu le secteur — des outils payants. Franchement, vu le volume et le niveau de qualité de ce qui nous est demandé en veille juridique et presse, heureusement qu’on a ces outils. J’ai aussi fait ma veille presse sans outils payants, donc je peux comparer.
1. Vu que la presse, comme Frédéric Martinet le rappelle, se ferme lentement mais sûrement au gratuit, et qu’elle offre des commentaires plus intéressants que les dépêches des agences de presse (pas toutes gratuites, mais très souvent reproduites ailleurs), sans compter leurs enquêtes et leurs scoops, passer par des agrégateurs de presse (payants donc) est très utile. Dans le juridique, c’est pareil, la qualité du commentaire se paye.
2. Les outils gratuits n’incluent pas de contenu (sous licence, je veux dire). Or les outils payants, non seulement vous offrent un accès à du contenu mais payent les droits d’auteur à votre place, vous permettant d’être en règle avec la loi (un sujet que Frédéric aime bien :-).
3. J’ajouterai que le manque de pérennité des outils gratuits est un très gros problème.
4. Les opérateurs de recherche de nombreux outils gratuits sont lacunaires. De manière plus générale, tant qu’on se content de sa version gratuite, un outil de veille manque souvent de fonctionnalités avancées. L’évolution de la pratique tarifaire d’Inoreader illustre bien ce fait.
5. Dernière chose, au moins aussi importante que les autres, voire plus : les outils gratuits manquent souvent de systèmes de formatage et d’envoi par mail automatiques. Le mail reste dominant en milieu pro. Formater à la main est hors de question pour un veilleur professionnel. Chaque fois qu’on doit le faire, on part dans du chronophage.
Après, je suis d’accord : la veille stratégique — que je pratique peu — dépend peu des outils.
Emmanuel Barthe
Oui je sais : je déterre un vieux post et normalement il ne faut pas. J’ai vu la date après coup. Mais le débat demeure.
Non, pas de soucis, c’est aussi pour cela que je les republie de temps à autres. Les sujets évoluent les avis aussi. Parfois 🙂
C’est sûr que si on veut faire une veille médias très large alors un service payant à la Factiva va de soi. Quant l’objectif est plutôt la surveillance de pages web d’acteurs spécifiques, et pas seulement leur flux RSS, alors il y a encore largement la place pour le gratuit ou tout du moins peu cher.