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Si vous voulez comprendre les enjeux de l’affaire (déjà évoquée ici) opposant le cartonnier français Otor à Carlyle je vous conseille la lecture de cet article du journaliste Bertrand Fraysse du magazine Challenges. Un bel exemple de guerre économique et quelques coups de canifs de plus dans une définition officielle de l’IE quelque peu idéaliste il est vrai. Cela devrait d’ailleurs nous faire réfléchir à ce qui me semble être une grande hypocrisie.
Depuis 6 ans que je travaille dans le milieu de la veille et de l’IE je suis toujours agacé lorsque j’entends quelqu’un affirmer dans son discours que l’IE est une forme de renseignement utilisant des sources légales puis plus loin, et sans sourciller, que 95% des infos concernant une entreprise sont accessibles mais que seuls les 5% restants sont d’une importance stratégique.
Cela relève tout simplement du double langage. En effet que compte t’on faire croire à son auditoire avec un tel discours? Ou, plus grave, qu’espère t-on se faire croire? Quel message relaie t’on ainsi dans les formations universitaires à l’IE?
Réponse: qu’on enseigne une matière, des techniques, des procédés qu’on ne pourra de toutes façons pas utiliser à 100% sans tomber dans l’illégalité. Qu’il faudra chercher de l’info stratégique jusqu’au seuil légal puis s’arrêter.
Et c’est logique. Quel autre discours pourrait-on bien tenir officiellement?
Pourrait-on dire par exemple qu’une intelligence économique qui se voudrait réellement efficace devrait utiliser les moyens du renseignement d’Etat (mises sur écoute, corruption et pots de vins, chantage)? Pourrait-on enseigner cela à des étudiants ou bien l’écrire dans un rapport du Commissariat au Plan? Bien sûr que non.
Et pourtant que voit-on dans les grandes affaires qui secouent périodiquement la sphère du business international (enfin celles qui sortent dans la presse)?
Que la conquête de marchés est une activité qui se joue dans les coulisses, avec de nombreux intermédiaires, y compris des chefs d’Etat. Que les entreprises dégageant des bénéfices importants sont espionnées (espionnent?), pillées (pillent?), influencées (influencent?) par des officines spécialisées, par des services de renseignement d’état, par des structures mises en place par ces derniers (advocacy centers, et autres)…
On est pas dans l’officiel mais dans l’officieux, pas toujours dans l’illégal mais toujours dans le flou. Seule position qui permette de dégager des marges de manuvres introuvables autrement.
Il faut dire clairement ce qu’est l’intelligence économique: soit elle reste dans les limites légales du Plan Martre et c’est alors de la veille, souvent très utile au demeurant, soit elle passe cette limite et c’est alors du renseignement pur et simple. Il n’y a pas de demi-mesure.
Est-ce à dire que l’intelligence économique n’existe pas? Sans doute et je crois que le grand mérite du rapport Martre est justement d’avoir forgé ce terme en tant que tel. Pourquoi?:
Parce qu’avec ce vocable ésotérique qui joue sur l’ambiguïté du terme "intelligence" il a suscité la curiosité de nombreuses personnes et les à amené à s’interroger sur ce qu’il recouvrait, à se demander quelles pratiques se cachaient derrière, à suivre les affaires auxquelles ce terme était accolé, à tort ou à raison. Enfin, finalement, à déniaiser les français qui en avaient encore besoin sur les pratiques réelles du commerce international.
Évidemment le rapport Martre ne pouvait pas dire ouvertement que l’IE c’était çà mais il a donné les clés pour le découvrir et cela commence a porter ses fruits. La prise de conscience est maintenant faite au plus haut niveau de l’Etat et c’est tant mieux car c’est le seul à disposer véritablement des moyens "légaux" de faire de l’intelligence économique (comprendre du renseignement et de l’influence), pour le compte des entreprises françaises et pour tenter d’accroître la compétitivité française.
Comment expliquer autrement la nomination d’AlainJuillet, avec le profil que l’on sait, auprès du Premier Ministre. S’il fallait un message explicite pour définir l’IE je crois qu’on ne pouvait être plus clair.
Le terme d’intelligence économique va perdurer parce qu’il est utile: en tant que mot-valise il permet de brouiller le discours et d’en appeler à la définition Martre si nécessaire, mais sa valeur opératoire amène évidemment à s’interroger et à saisir ce qui se cache réellement derrière.
Le terme est mal compris, mal utilisé? Tant mieux, plus il générera de bruit et plus ceux qui font vraiment de l’IE (et qui ne sont pas nombreux) seront tranquilles. Est-ce que c’est déontologiquement acceptable? A chacun de voir mais tout le monde accepte déjà (et finance) le renseignement d’Etat comme un mal nécessaire.
Si le renseignement d’affaire peut permettre de gagner des marchés et ce faisant d’accroître la compétitivité d’un pays, sa richesse et ses emplois qui peut vraiment être contre.
Finalement ce que demande la majorité des gens c’est de ne pas savoir ce qui se passe dans ces zones d’ombre mais d’en avoir les fruits.
Accepter cela ou se battre contre est de l’ordre du choix politique, voire philosophique mais avant cela il faut au moins comprendre que c’est ainsi que çà fonctionne actuellement et que l’IE c’est d’abord un outil pour jouer dans la "Real Economy".