Voilà une question que j’ai entendu des dizaines de fois depuis bientôt 8 ans. Or j’ai vu passer récemment et à plusieurs reprises des utilisations de l’expression « outils froids » qui m’étonnent un peu. On semble penser qu’il s’agit d’un terme existant que j’aurai repris alors qu’il me semble bien l’avoir « inventé ». Attention! Il ne s’agit pas ici de m’attribuer la paternité d’un concept qui ne recouvre rien d’aussi précis que ce que j’ai pu lire, mais de dire simplement comment m’est venu l’idée de cette expression et d’expliquer ce que j’y mets.
Le problème c’est que 8 ans c’est déjà loin et de fait, il y a 2 explications qui se téléscopent dans ma mémoire sans que je puisse dire s’il l’une a précédé l’autre. J’aurai plutôt tendance à parler de conjonction.
La première : à cette époque, mes « trouvailles » numériques, qu’il s’agisse de nouveaux services ou de nouveaux logiciels, se faisaient essentiellement dans les rubriques intitulées « cool tools » de sites US. Comme vous le savez, « cool » signifie à la fois cool et « frais », mais la traduction littérale « outils frais » ne me plaisait pas. Trop « rayon frais » de supermarché à mon goût.
Outils froids m’a donc semblé une trahison intéressante, d’autant que je trouvais le téléscopage des deux mots facile à retenir pour ceux que mes billets intéressaient.
La seconde : à la même époque, je découvrais Marshall Mc Luhan et sa théorie des médias chauds et froids. Tentant de comprendre comment le medium modelait le message, et s’intéressant aux médias de son temps (ses principaux travaux paraissent entre 1960 et 1975), il distinguait ainsi la radio de la télévision.
Selon lui, la première était un média chaud qui, nous noyant dans un flot d’informations, nous empêchait de nous en extraire pour faire sens de ce que nous entendions et mieux y participer. Le média chaud était donc celui qui permettait de capturer le temps de cerveau disponible de l’auditoire (raccourci de ma part).
Il voyait au contraire la télévision comme un media froid, c’est à dire moins « captivant » car nous laissant le temps de la réflexion ainsi que des espaces temporels pour participer, s’impliquer. On peut s’étonner à notre époque de cette vision. Depuis longtemps en effet, on est plutôt habitué à entendre qualifier la TVd’hypnotisante, d’abêtissante, de lénifiante et de tout un tas d’autres mots en fiante ante. Et c’est vrai qu’elle peut l’être mais pas seulement. Si l’outil nous façonne, comme dirait Marshall, il est aussi ce qu’on en fait. Sans doute donc qu’en 1960, la mission civilisatrice et éducative de la télé lui apparaissait comme une évidence.
Voir par exemple :
Pour moi, les outils du web étaient froids car ils avaient dès 2003, et ont toujours, la capacité d’aider le travailleur du savoir à maîtriser le flux d’informations qu’il reçoit, c’est à dire notamment, à lui donner du sens. Mais aussi bien évidemment à lui permettre de participer. C’est tout le sens du web 2.0 et des outils collaboratif, médias sociaux et autres. La grande différence avec l’époque de Mc Luhan est qu’un même outil peut être à la fois chaud ou froid, c’est à dire avoir la capacité de vous noyer comme de vous sortir de l’eau. L’agrégateur de flux RSS est le meilleur ami du veillleur… jusqu’à son retour de vacances.
Dans notre univers 2.0 (mais franchement ce terme a 7 ans…) les outils sont donc à la fois le problème et la solution.
Le terme « outils froids », ne désigne donc pas des outils déshumanisés ou déshumanisants. Alors que chaque jour des relations se tissent entre membres de réseaux sociaux (professionnels, ou non, de rencontre, de partage de hobbies,…) qui pour beaucoup ne se sont jamais rencontré « irl », que ces mêmes personnes indiquent en retirer des « bénéfices sociaux » (conseils, avis, astuces, encouragements, …), il serait simplement absurde de dire l’inverse, et mon livre sur l’entreprise 2.0 ne va d’ailleurs qu’en ce sens. Mais Howard Rheingold l’avait expliqué dès 1993 dans son livre « The Virtual community« , et bien mieux que moi encore.