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J’avais écrit il y a deux ans un billet sur la nécessaire prise de conscience que nous devons avoir individuellement quant à la gestion de notre attention, sauf à la déléguer à d’autres qui s’en chargeraient bien volontiers…
Depuis j’ai accumulé quelques données supplémentaires qui me laissent penser que c’est sans doute plus important encore que je le croyais alors.
D’où proviennent-elles? De deux champs de connaissance a priori fort éloignés mais qui vivent actuellement une véritable lune de miel : les sciences cognitives et le bouddhisme (option Tibet).
En fait tout a commencé en 1987, lorsque le Mind & Life Institute, une fondation créée par le neurologue et philosophe Francisco Varela, a commencé à organiser des rencontres intitulées « Science et bouddhisme ». L’idée était alors d’engager le dialogue avec le Dalaï-Lama dans le but de confronter la science actuelle aux connaissances relatives à l’esprit humain acquises depuis près de 2500 ans par les moines bouddhistes.
Avec l’aide de Matthieu Ricard, docteur en biologie moléculaire et moine tibétain depuis 1978, ces rencontres ont fini par déboucher sur des expériences impliquant des moines bouddhistes experimentés que l’on a soumis à divers tests par IRM et électroencéphalogrammes.
Menées par le professeur Richard J. Davidson de l’Université de Wisconsin, ces expériences ont fourni des résultats impressionants. Dans une interview donnée au Monde* Matthieu Ricard explique :
» Ces travaux donnent des résultats significatifs sur le renforcement du système immunitaire, la diminution de l’anxiété, de la colère, de la tendance à la dépression, pour ne citer que cela, et puis sur de nombreux aspects cliniques, comme l’accélération de la guérison du psoriasis ou encore la baisse de la tension artérielle. ». Un autre article* nous apprend que » les méditants qui ont la plus longue pratique de la méditation sont aussi ceux qui génèrent les plus hauts niveaux dondes gamma. Et cela pendant la méditation comme au repos. » Les ondes gamma traduisent généralement une activité mentale intense de haut niveau dont relèverait notamment la conscience de soi.
C’est aussi à la suite de ces expériences que Matthieu Ricard a été qualifié d' »homme le plus heureux du monde« . Il a en effet atteint le plus haut niveau dactivité cérébrale dans le cortex préfrontal gauche du cerveau, aire associée aux émotions positives, jamais enregistré. Alors que léchelle varie de + 0.3 à -0.3 (béatitude), Matthieu Ricard affichait des résultats de 0.45!
Au final, il ressort de ces expériences que l’entraînement mental est en mesure de façonner notre esprit. Pour les chercheurs qui mènent ce projet il s’agit de véritables « savoirs faire » qui se travaillent sur la longue durée.
Et l’attention dans tout cela?
Le 18ème colloque du Mind & Life Institute était consacré au thème « Attention, mémoire et Esprit ». Il s’est tenu du 6 au 10 avril dernier à Dharamsala et la liste de spécialistes en tous genres qui y ont participé ne pousse pas franchement à ironiser. Il n’y a pas encore de synthèse en ligne mais quelques éléments tirés du programme permettent de se faire une idée des multiples implications du processus d’attention :
- Multi-tasking, Meditation, and Contemplative Practice
- Mental Processes Underlying Attention, Visual Perception, and Cognitive Control
- Mental Processes for Attention and Cognitive Control in Children and Adolescents
- The Utility of Improving Attention and Working Memory with Mindfulness-Based Training
- Education, Application, Buddhism, and Technology
Certains des mots-clés présents dans ces intitulés me renvoient forcément (ainsi sans doute que ceux qui me lisent depuis longtemps) à un thème qui m’est cher, celui de la confrontation entre efficacité personnelle et technologies. Dans son livre Matthieu Ricard explique que Shamatha, le travail permettant d’améliorer les capacités d’attention permet de passer à un état « dans lequel prévalent l’attention stable, la paix intérieure, la capacité de gérer les émotions, la confiance, le courage, l’ouverture aux autres, la bienveillance et d’autres qualités qui caractérisent l’esprit lorsqu’il est vaste et serein. » Bien sûr nous ne sommes pas tenus de le croire sur parole, mais nous n’avons pas non plus de raisons d’être plus sceptiques que les chercheurs qui mènent les expériences décrites plus haut et en tirent ces étonnants résultats.
De manière plus pragmatique (plus occidentale?), gérer son attention c’est aussi choisir la manière dont on va disposer de son temps : être attentif à quelqu’un ou quelquechose c’est d’abord lui accorder du temps de manière consciente, volontaire. Car nous sommes finalement libres de consacrer ce temps à tout … et n’importe quoi : s’améliorer dans tel ou tel domaine, développer de nouvelles compétences, faire le point sur ses objectifs personnels, s’en fixer de nouveaux, ou s’avachir sur le canapé pour regarder la télé….
On peut aussi décider d’accorder du temps aux autres, en rejoignant les grandes causes bien sûr, mais aussi, de manière moins altruiste, en passant du temps sur nos réseaux personnels (LinkedIn, Viadeo, etc), qui ne donnent des fruits que si l’on s’y implique suffisament.
Pour tous ceux qui restent imperméables aux techniques « exotiques » je rappellerai qu’une tradition de « techniques de soi » a existé dans la Grèce et la Rome antiques, comme l’a rappellé une récente réflexion d’Ars Industrialis. S’est-elle perpétrée? A vrai dire je n’ai pas assez creusé le sujet. Du peu que j’en sais il n’en reste rien en Occident, en revanche les pères du désert en ont sans doute transmis des éléments vers les églises coptes et orthodoxes sous la forme de l’hésychasme (ceux que cela intéresse pourront se reporter à cet article d’une chercheuse du CNRS).
De tout cela je déduis, un peu à l’emporte-pièce c’est sûr, que ne pas maîtriser son attention c’est restreindre drastiquement et à tous les niveaux ce que la vie est en mesure de nous apporter, ou ce que l’on est susceptible d’en faire.
Je ne sais pas comment conclure car il s’agit plus ici d’une réflexion décousue et en devenir que d’un billet définitif. Pour une fois je n’ai pas d’outils à proposer. Je ne peux que constater quelques parcours finalement cohérents :
- Peter Senge, héraut de l’organisation apprenante et de la « maîtrise personnelle » (son nécessaire corollaire que j’intègre au PKM), prof au MIT et reconnu comme un des pères fondateurs du knowledge management pratique la méditation bouddhiste
- David Allen, créateur de la fameuse méthode de gestion du temps GTD a emprunté au bouddhisme Zen une maxime, « mind like water », et adapté/détourné sa technique de « mindsweeping ». Il dit aussi pratiquer un peu le yoga.
Et aussi (me) poser quelques questions
- S’organiser, vouloir être plus efficace et mieux gérer son temps, est-ce que ce ne sont pas finalement des préoccupations qui nous amènent à nous poser la question du sens, du pourquoi, et à en tirer les conclusions qui s’imposent ?
- Le fantastique pouvoir hypnotisant du web, le stress qu’il induit en retour, peuvent-ils être nocifs à notre santé. (cf. les bloggueurs célèbres frappés de crise cardiaque l’année dernière, à moins que ne soit juste une question de stats) ?
- Le web peut-il nous fasciner au sens propre du terme et capter notre attention au point que nous en oubliions de la porter vers nous-mêmes ?
- Et donc ce pouvoir doit-il être contrebalancé par des moments (quotidiens,hedomadaires) de prise de distance, de retour sur soi, de méditation en somme.
- A moins que le web ne finisse par secréter son propre antidote et par constituer une voie spécifique de méditation en action, allez savoir ce que notre cerveau est capable d’en faire à l’usage…
* Il n’est pas très difficile de trouver ses articles dans leur intégralité sur le web…
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