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Paresse, curiosité et imagination, nous avons maintenant fait le tour des qualités de cet anti-employé qu’est le veilleur. Pourquoi anti-employé? Parce qu’un tel profil détone forcément dans une organisation. Le veilleur est celui qui va dire « je ne sais pas (encore) » alors que, dans l’entreprise, chacun dans sa partie doit savoir, ou plutôt, doit faire comme s’il savait. Le veilleur sait qu’il ne sait pas et s’il affirme trop régulièrement le contraire c’est qu’il fait mal son travail. Cela indique en effet qu’il n’émet pas suffisamment d’hypothèses contradictoire aux différentes versions officielles –> manque de curiosité et d’imagination.
Le souci pour le veilleur c’est qu’il doit vendre de l’incertitude dans un milieu où seule la certitude est valorisée. Il risque donc fort de passer pour un éternel rabat-joie, une agaçante mouche du coche, mais après tout, si l’on a bien compris son rôle, n’est-ce pas pour cela qu’il faut en recruter un ?
La veille n’est-elle pas cette assurance sur l’avenir qui doit permettre de voir arriver le maximum de risques afin de s’en protéger ou d’en tirer parti? On n’embauche pas un veilleur pour qu’il prenne des décisions stratégiques, çà c’est le rôle des décideurs, mais pour qu’il éclaire la route, qu’il en repère les obstacles et aide à en éviter les zones dombre. Le veilleur et le réseau d’expertise sur lequel il s’appuye sont là pour ça mais au final c’est bien le décideur qui décide, qui agit, qui prend le risque. Et cela ne se fait jamais en toute connaissance de cause, ni de manière totalement rationnelle, comme l’a montré Herbert Simon. Le veilleur est là pour que la rationalité du décideur soit moins limitée, mais elle le reste tout de même et il serait d’ailleurs instructif de mesurer la part d’intuitif chez les décideurs, surtout ceux qui aiment s’entourer de tableaux de bord stratégiques compliqués et emploient un service de veille. On aurait sans doute des surprises tant ces gardes-fous ne sont souvent là que pour les rassurer sur leur rationalité limitée (la même que tout le monde en fait, cf. le livre de Christian Morel) et servir éventuellement de fusibles, .
Cette orientation du veilleur vers l’incertain, le flou, le complexe est également difficile à valoriser lors d’une entretien d’embauche et c’est sans doute lune des raisons pour laquelle les recruteurs aiment les profils de spécialistes avec « option veille ». La double-compétence les rassure.
Il est clair qu’un ingénieur est tout à fait à même de faire de la veille, pourtant, s’il a été recruté sur ce double profil, il y a de fortes chances pour qu’il soit finalement plus employé pour ses compétences en ingénierie qu’en tant que veilleur, notamment dans les PME où le tropisme vers l’opérationnel est fort. Cela ne pourra tout simplement pas arriver à un généraliste qui continuera à assurer sa fonction de poil à gratter parce qu’il ne peut pas faire autre chose, remplissant ainsi le contrat pour lequel il a été embauché. Et s’il n’est pas assez « technique », il apprendra…
Sauf certains cas particuliers où cela fait sens (veille médicale, juridique ou brevet), recruter un double profil c’est déjà choisir quelqu’un ayant une focalisation forte sur un type de données ou de problématiques. C’est donc se priver de l’esprit neuf, voir naïf du généraliste, car c’est parce qu’il est généraliste qu’il va observer le monde sans trop d’a priori, jusqu’à ce qu’il devienne à son tour un spécialiste…
Les recruteurs doivent prendre conscience des spécificités propres à cette fonction et jespère que cette série de billets les y aidera un peu. Quant aux veilleurs ou aspirants-veilleurs, qui se sentent parfois en décalage avec leurs collègues plus opérationnels et bien quils se rassurent, cest pour ça quon les paie.